Dans l'antiquité, la tapisserie à l'aiguille servait de contrepoint à l'activité extérieure. Périples et péripéties, actes héroïques : les voyages pour les uns (ex. : Ulysse), le rêve traduit par des fils, des couleurs, des heures vécues autrement pour les autres (ex. Pénélope, d'où le canevas du même nom). Pénélope, irrémédiablement reliée à une seule et unique tapisserie (qui la rendit célèbre !) car la nuit venue, elle défaisait inlassablement ce qu'elle avait patiemment tissé le jour. « Si tu peux voir détruit en un seul jour l'ouvrage de ta vie, etc, etc... ». Bien avant Kipling. Et Pénélope est restée une femme jusqu'au bout. Bref...
Les siècles inexorables qui ont suivi, bien différents de ceux d'Homère, ont multiplié les images, élaboré d'autres points, d'autres motifs, illustré aussi d'autres histoires prestigieuses (ex. : La tapisserie de la Reine Mathilde à Bayeux).
Dans ce continuum, la main qui tisse depuis l'aube de l'humanité ou presque, tomba un temps en désuétude. Le fil fut rompu par les guerres du vingtième siècle. Néanmoins, l'aiguille et ses fils innombrables reviennent à la surface, aussi obstinés que les nordiques Nornes filant les destinées humaines et offrant, là encore, un nouvel éventail de leurs possibilités : nouvelle approche, nouveaux motifs, sujets différemment traités.
En ce qui concerne la forme, j'adopte volontiers le triptyque (référence médiévale), aux dimensions de 40 cm sur 80 cm environ dans la plupart des cas. Les marines sont plutôt d'une seule pièce, suspendues à une tringle de bronze au moyen de passementeries cousues sur la doublure.
Mon aiguille à bout rond explore depuis 1991, exclusivement sur une toile vierge (trame unifil antique), des points, des motifs dont certains remontent au douzième siècle, aux époques médiévales, au quinzième siècle pour les motifs florentins, de nos jours pour ceux que j'invente. Une gamme plus que vaste et, à ce jour, non exhaustive.
J'utilise de la laine, du ruban, de la soie, du lin, des fils d'or, et, selon les cas, des perles de roche (pour un effet mouillé), du cristal de Bohème (placé sur le point focal du tableau) et même des paillettes carrées qui trouvent leur place à l'intérieur de certains motifs. Les avant-plans sont fréquemment rendus au moyen de points et de motifs plus spectaculaires ou plus épais, parfois de points tout simplement agrandis. Au fur et à mesure que la perspective s'éloigne, les points deviennent plus fins (ex. : point de dentelle). Les arbres, lorsqu'il s'agit d'une perspective sylvestre, sont ici toujours en relief et, suivant la nature de l'écorce du tronc, le choix du point, la structure de la laine ont une grande importance. Les feuillages obéissent eux aussi à la même exigence : luminosités rendues par le ruban, la soie, le cristal...